Entretien Claude Onesta : Passer du « faire plus avec moins » au « faire mieux avec moins »
J’ai eu la chance d’assister à l’entretien de Claude Onesta du 29/06 au Silo à Marseille – Sélectionneur de l’équipe de France de Handball, Médaille d’or aux JO, Médaille d’or au championnat d’Europe, Médaille d’or au championnat du monde
Ci-dessous, les questions posées à Claude Onesta ainsi que ses réponses. De quoi s’inspirer :
Question : « Comment faire plus avec moins ? »
Claude Onesta : « C’est un discours permanent de comment faire plus avec moins et il va falloir faire toujours plus. Mais je crois qu’au delà de cette dynamique, c’est la place que peuvent avoir les Hommes dans ce parcours.
Mon métier de Manager m’amène à réfléchir, tout ça ce sont des outils merveilleux avec des évolutions de système et des évolutions de structure et de technologie. Moi ce qui m’intéresse, ce ne sont pas les outils mais les hommes, la façon dont l’homme va l’utilser. Dans ces dimensions humaines, il y a des dimensions qui relèvent de la croyance, qui relèvent de la confiance et ce sont des mécanismes qui ne sont pas mathématiques. Ce sont des mécanismes humains et quand on dit à quelqu’un, il va falloir faire plus avec moins, je crois que dans un premier temps, il y a une forme d’obéissance qui va lui permettre d’essayer, il va très vite y arriver mais comme il sait qu’on va lui demander encore, il comprend que d’un moment à un autre, il n’y arrivera plus. Quand la croyance est anéantie, les mécaniques deviennent des mécaniques de transgression, c’est à dire qu’il va faire semblant. Et aujourd’hui vous voyez très souvent des gens faire semblant de suivre des directives qui leur sont données mais au fond d ‘eux-mêmes, sachant qu’ils ne vont pas pouvoir atteindre les directives, ils vont passer plus de temps et d’énergie à se faufiler autour des problemes plutot que des les affronter. Donc je crois que faire plus, il y a des limites. Usain Bolt court très vite le 100m, mais ce n’est pas parce qu’on lui demande de faire toujours plus, on peut penser qu’un pourra courir le 100m en 5 secondes. Donc parler d’avec « moins » qui est une réalité, et encore faut-il savoir de quel « moins » on parle et de comment le répartir.
Le monde ayant changé, quelles sont les dépenses qui étaient essentielles il y a 10 ans et qui ne le sont plus, quelles sont celles qui sont essentielles aujourd’hui et qu’il va falloir privilégier.
Déjà, dans l’analyse du moins, il y a des analyses de priorisation. Si on veut que les individus avancent et s’approprient le projet, il faut que ce projet soit à l’échelle de ce qui est réaliste pour eux. Donc plutôt que de dire « plus », je préfère dire « mieux ». Donc la question est « comment faire mieux avec moins » ? « Mieux », ce n ‘est pas schizophrène, « plus » ça l’est. Mieux, ca veut dire que dans certaines circonstances, il va falloir faire plus et dans d’autres circonstances, il va falloir faire moins. C’est à dire que parfois, il va falloir ralentir un peu pour mieux analyser, mieux réfléchir, mieux décider, alors que le plus est une course folle en avant, on va de plus en plus vite, mais de plus en plus vite dans le mur. »
Question : « Comment fédérer une équipe avec un but commun, quels sont vos secrets de Management ? »
Claude Onesta : « Je n’ai pas de secret car le management d’hommes est quelque chose qui évolue en permanence et si vous aviez des secrets, vous seriez figés derrière ces secrets.
Il faut identifier que vous avez à faire à un groupe d’individu et à une situation donnée et vous allez faire une projection, une vision qui fait que vous allez les mener là où ils ne sont pas. Il y a un environnement qui est complexe, il y a des adversaires qui sont là pour vous en empêcher. Ce qui est important, c’est de prendre la mesure de ce que sont les gens autour de vous. J’ai beaucoup travaillé sur la notion d’appropriation et je considère qu’il est plus utile de faire confiance à l’intelligence des hommes plutôt qu’à leur obéissance. Je ne crois pas que des individus qui sont dans de l’obéissance permanent soient capables de générer de la performance durable. Pour faire de la performance durable, il faut avoir des hommes qui ont un talent fou, et ce talent permet d’imaginer de la performance. Or on sait tous qu’il y a des équipes pleines de talents qui ne gagnent jamais. Donc le talent seul ne suffit pas, et ce qui permet la performance durable, c’est que les hommes ont été associés de manière pleine à la réalisation du projet. Donc on a commencé à réfléchir ensemble et à élaborer le projet, ce qui n ‘empêche d’aucune façon la notion d’autorité et de prise de décisions qui reste la mienne, par contre tous les individus autour de moi ont la sensation d’avoir participé à cette maison. Ce qui veut dire que quand cette maison est attaquée, on va se fédérer pour se défendre. Je suis persuadé que si les individus avaient été associés non pas à leur maison mais à ma maison, ils auraient sûrement bien fait ce qu’il fallait pour bien la construire mais au moment où on a été en difficulté, ils auraient préféré s’échapper plutôt que de défendre leur maison. Donc l’idée, c’est, plus les gens sont associés à la réalisation du projet, plus ils vont être capable de se responsabiliser dans la durée.
Je pense qu’il y a deux éléments qui permettent de générer la performance durable :
1) Le premier, c’est l’innovation qui est une évidence si on veut amener les gens à performer dans la durée car il ne faut pas que les gens aient le sentiment à aucun moment de réaliser la même aventure. La même aventure génère une perte de vigilence et de précision et donc va générer des réalisations de niveau moindre. Donc l’innovation est ce qui permet de continuer à explorer, à préserver une forme d’incertitude qui est tout compte fait totalement adaptée à la notion de performance. Le trop de certitude tue la performance, le trop d’incertitude génère de la peur et tue également la performance. Il faut donc gérer le curseur entre certitude et incertitude en fonction des situations et l’exploration est une forme d’incertitude maîtrisée.
2) Le deuxième élément est l’épanouissement de l’individu au fur et à mesure de l’aventure. Un individu qui se réalise, qui s’épanouit, qui grandit au fil de l’aventure est un individu qui va tout mettre en œuvre pour que l’aventure perdure, pour que l’aventure continue à être pérenne en résultat . Un individu qui est dans la souffrance ne pourra faire perdurer la performance, car cette souffrance, cette peur feront que l’individu va se mettre en protection plutot que de s’engager dans l’action. »
Question : Vous maltraitez les jeunes recrus ?
Claude Onesta : « Non c’est un jeu de rôle. Le jeune arrive, il n’a encore rien fait et on commence déjà à parler de lui dans les médias. On fait de lui déjà quelqu’un qu’il n’est pas. Donc nous on va lui apprendre la pierre de la patience, donc je vais prendre le mauvais rôle. C’est à dire que je vais être désagrable avec lui . Tous les jours, je vais le ramener à ses obligations et jamais à ses droits et je vais faire en sorte que les autres le prennent en charge. Les autres vont aller le voir pour lui remonter le moral et c’est cela qui permettra au groupe de se créer et de cohabiter.
L’esprit d’équipe, on pourrait croire que tous ces mecs là sont merveilleux et qu’ils s’adorent mais je vous prie de croire qu’ils ne s’adorent pas du tout, ce sont vraiment des collègues de travail, peu sont des amis, peu ont envie de partager au delà du monde du travail, par contre, ce sont des gens qui ont compris que pour espèrer performer au plus niveau mondial, il fallait coopérer et s’associer. Ils ont compris que ce qu’ils vont réaliser ensemble sera bien supérieur à ce qu’ils auraient pu faire seul. Comme les récompenses vont avec les résultats, ils ont compris que ce qu’il percevrait à titre individuel sera bien plus important quand ils auront coopéré et été solidaires que ce qu’ils auraient pu espèrer seul. C’est vraiment un projet et une capacité à s’associer non pas par amour mais par intérêt partagé. Donc ils misent sur le fait qu’ils vont investir ensemble et qu’ils vont pouvoir récolter ensemble et donc ensuite pouvoir récupérer à titre individuel.
J’ai compris avec le temps que les choses devaient être partagées. Je ne vais pas les obliger à obéir à un projet, je vais chercher véritablement à les faire participer à l’élaboration. Dis comme ça, on dirait qu’on va sortir la guitare et faire un feu de camp mais pas du tout , on est dans la compétition de l’extrême, on n’est pas dans le partager pour partager, la notion de partage va générer de l’engagement et de l’investissement.
Mon souci à moi, c’est d’avoir suffisamment d’indicateurs pour percevoir le problème avant même que les autres ne l’aient perçu. Pour ça, il ne faut pas que soyez la tête dans le moteur en train de régler le carburateur. Cette projection va vous permettre de diriger mais pour ça, il faut faire confiance aux gens avec qui vous travaillez. Si vous passez votre temps à contrôler le travail de celui à qui vous l’avez délégué, vous ne vous mettez pas dans le rôle du manager. Le manager c’est, je délègue, délègue, délègue, je prends de la distance et je vais voir comment ça fonctionne.
Quand tous les jours, les acteurs viennent avec l’idée d’innover, de transformer et de faire avancer le système pour qu’il devienne meilleur, le système est plus dynamique que lorsque tout le monde dort et qu’on attend que le chef donne les ordres. Vous devez donc vraiment savoir à qui vous avez confié une mission.
On gagne les compétitions par la qualité des remplaçants. Dans la vie d’un joueur à l’équipe de France, il y a 2h de vies sportives et 15h de vie sociale. Je fais donc attention à ce que ceux qui sont bons dans les deux aient des capacités pour les 15h de vie sociale donc derrière un titulaire, je mets une personne qui aura la capacité à s’investir dans les 15h car il aura un rôle. Donc je préfère le meilleur remplaçant que le mauvais numéro 2.
Mon métier, ce n’est pas de sélectionner les meilleurs joueurs, c’est de sélectionner les joueurs qui ensemble vont faire la meilleure équipe. Ce n’est pas pareil.
La hiérarchie est là pour répartir les rôles et les énergies, pour diriger son groupe dans le sens de l’intérêt collectif »
– Fin de l’entretien –
Un bel exemple à suivre.
Maïeutik & Co porte ce travail de vision, partage ces valeurs, accompagne les entreprises, dirigeants et managers dans ces stratégies pour faire émerger l’intelligence collective des groupes, pour faire confiance aux individus et à leur intelligence et pour développer l’intrapreneuriat afin de permettre le développement durable des entreprises
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